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L'action internationale

Sans nouvelle d’un proche : quel impact psychologique et social sur les personnes déplacées de force ?

Un article du Forced migration review sorti en mai 2025 aborde l’impact psychologique et social de la disparition d’un proche sur les personnes déplacées de force. Rédigé conjointement par des chercheurs et des professionnels de la Croix-Rouge, il resitue les concepts de perte ambiguë et de double ambiguïté, et plaide pour plus de recherches sur le sujet afin de cheminer vers une meilleure prise en charge des personnes concernées. Découvrez ici un résumé de cet article.

 

Les personnes victimes de migration forcées font face à de nombreux risques, notamment celui de disparaître pendant leur parcours migratoire, laissant ainsi leurs proches sans nouvelles sur leur sort. La Croix-Rouge de Belgique, via son activité de Rétablissement des liens familiaux, aide ces proches, souvent déplacées eux-mêmes, à retrouver la trace de leurs êtres chers. Souvent, les conséquences psychologiques et sociales liées à cette incertitude, et la tension entre espoir et désespoir que la démarche de recherche implique, s’ajoutent aux difficultés d’être soi-même déplacé.

 

Impact psychologique sur les personnes déplacées de force : que dit la recherche ?

A ce jour, peu de recherches scientifiques ont exploré l’impact social et psychologique de la disparition d’un proche sur des personnes elles-mêmes déplacées, l’évolution de ces impacts dans le temps, et les stratégies que ces personnes mettent en place pour atténuer ces impacts.

De nombreuses études montrent qu’être sans nouvelles d’un proche a des répercussions sur la santé mentale. Chez les personnes subissant cette situation, on retrouve des taux élevés de Trouble de Stress Post-Traumatique (TSPT), ainsi que d’autres affections telles que la dépression, l’anxiété, le deuil profond et durable, voire, dans certains cas, des symptômes physiques – symptômes qui se rapprochent de ceux faisant suite à un traumatisme tel que le décès d’un proche.

Cependant, contrairement à un traumatisme lié au passé, être sans nouvelles d’un proche a un fort impact sur le présent, et ce de façon durable, ce qui tend à qualifier cette situation de traumatisme chronique. Une situation qui va au-delà d’un risque accru de trouble de la santé mentale et a des effets plus larges sur le plan psychologique et social : sentiments de deuil plus intenses, douleur émotionnelle, difficulté à trouver du sens à l’existence. Des observations pratiques menées par les professionnels de la Croix-Rouge mettent en lumière d’autres symptômes comme le sentiment de culpabilité, la perte de contrôle de soi, le repli sur soi, l’irritabilité, ainsi que de hauts niveaux d’inquiétude pour la personne disparue[1]. Plus généralement, l’impact de telles situations se ressent sur la façon d’entrer en relation avec les autres, au sein de la famille et en dehors, ainsi que sur la capacité à travailler, étudier, ou prendre soin des autres.

 

Perte ambiguë, double-ambiguïté : des concepts pour mieux comprendre l’impact de la disparition d’un proche sur les personnes déplacées

La perte ambiguë est une forme de traumatisme chronique qui se définit comme le fait d’expérimenter la présence psychologique mais l’absence physique d’un proche. Le fait de ne rien savoir du sort d’un proche peut limiter l’habilité des personnes à cheminer à travers les rituels naturels et culturels du deuil, forçant à mener une vie « entre-deux », avec l’impossibilité de s’engager dans des activités quotidiennes.

Retrouver une personne disparue est un processus long et complexe, de part la distance entre les requérants et les personnes recherchées, l’instabilité de certains pays où les recherches sont menées, les conflits sur place, etc. Dans ce paysage, les familles qui recherchent un proche sentent souvent qu’elles n’ont pas de contrôle sur la situation, se sentent inutiles ou coupables de ne pas pouvoir faire plus, et doivent, par ailleurs, prendre des décisions pour le futur sans rien savoir du sort de leur proche.

 

« Lorsque mon mari a disparu, j’ai dû surmonter mon chagrin et assumer mes responsabilités. Aucun mot ne peut décrire pleinement ce que j’ai ressenti.

J’ai appris à gérer mes émotions et à ne pas m’effondrer devant mes fils. Si seulement je pouvais le revoir avant de mourir… Je ne souhaite rien d’autre. »

Rasmiya pleure la disparition de son mari depuis 7 ans – Irak

 

Pour les personnes elles-mêmes déplacées, le sentiment d’ambiguïté est double : ambiguïté sur le sort de leur proche disparu, et ambiguïté liée à l’incertitude quant à leur propre sort de déplacé.

Les personnes déplacées de force présentent généralement un haut niveau de troubles de santé mentale (TSPT, dépression, idées suicidaires), dus à de multiples traumatismes antérieurs à leur migration (violence, privations, violations des droits humain comme la torture), pendant leur trajet migratoire et une fois leur destination atteinte. Elles font face à des difficultés pour s’adapter à leur nouvel environnement, difficultés qui se voient amplifiées si un de leur proche a disparu, notamment si ledit proche fournissait une aide financière.

 

Résilience et stratégies d’adaptation des personnes sans nouvelles d’un proche

Une étude australienne a permis de faire émerger plusieurs formes de résilience et stratégies d’adaptation des personnes sans nouvelles d’un proche : se distraire en s’engageant dans son travail, dans l’entretien de son logement, dans une pratique religieuse ou auprès de sa communauté. Des services de soutien proposés par l’Etat, les ONG, les services de santé ou la communauté existent également, mais leur accès peut être limité par le niveau de maitrise de la langue du pays d’accueil, l’isolement social, ou le statut légal sur le territoire, souvent temporaire. Certaines personnes tentent de reprendre le contrôle sur la situation en recherchant elles-mêmes leurs proches, via une agence de recherche ou leurs réseaux personnels et informels.

Ces preuves de résilience existent mais l’impact psychologique de la perte ambiguë limite souvent la capacité des personnes à utiliser ces stratégies :

« Pendant la petite enfance, les êtres humains développent naturellement un système d’attachement basé sur les relations avec leurs proches, qui leur permet de mieux gérer leurs réactions face aux menaces et au stress tout au long de la vie. Ce système d’attachement peut être compromis chez les réfugiés séparés de leurs proches disparus, qui sont souvent des figures d’attachement importantes dans leur vie, telles que leurs parents, leurs conjoints et leurs frères et sœurs. »

Une étude australienne d’imagerie cérébrale a été menée avec des réfugiés déplacés et des demandeurs d’asile, et a montré que les participants avec un TSPT avaient un système d’attachement moins performant pour gérer les fortes réactions émotionnelles :

« Cette étude fournit des preuves neurobiologiques préliminaires indiquant que le chagrin lié à la séparation interfère avec les systèmes intrinsèques de gestion du stress liés à l’attachement chez les réfugiés et les demandeurs d’asile. On ignore comment le système d’attachement affecte spécifiquement les personnes déplacées de force qui ont perdu des membres de leur famille, mais il est probable que cela implique l’effet cumulatif d’une perte ambiguë. »

Une nouvelle étude est en cours avec le service Rétablissement des liens familiaux de la Croix-Rouge australienne, afin de rendre compte de l’évolution dans le temps des capacités et des besoins des personnes déplacées de force dont des membres de la famille sont portés disparus, en particulier si les familles sont reconnectées, réunies ou si des informations concernant le sort d’un membre de la famille disparu sont révélées.

 

Pour découvrir l’article original (en anglais) : https://www.fmreview.org/dangerous-journeys/liddell-archer-batch-stockwell/

 

[1] British Red Cross, International Committee of the Red Cross, Red Cross EU Office, Swedish Red Cross, Swiss Red Cross (2019) Humanitarian Consequences of Family Separation and People Going Missing